Le Haut Conseil de la Santé Publique et le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, ont fait paraitre dans un avis daté du 15 octobre 2019 , des recommandations concernant la recherche et les données de santé de l’enfant, évoquant l’activité de la santé scolaire en la matière.
Les représentants des médecins de l’E.N. n’ont pas été auditionnés !
Malheureusement, alors que le syndicat de PMI a été entendu pour ce rapport, aucun des deux syndicats représentatifs des médecins de l’Éducation nationale n’a été auditionné. Seule l’administration centrale de l’éducation nationale, éminemment éloignée des réalités de terrain, a été entendue quant à l’activité déployée par les professionnels de santé scolaire concernant l’épidémiologie sur la santé des élèves.
Pourtant plusieurs médecins hospitaliers et de divers secteurs de la santé publique ont été auditionnés : sommes-nous considérés, au vu de notre salaire et de notre dépendance au Ministère de l’Éducation nationale, comme des sous-médecins pour ne pas avoir été interrogés sur notre activité professionnelle ?
Le SNAMSPEN a régulièrement dénoncé l’absence de moyens et de méthodes scientifiquement prouvées et validées (définies au préalable) mis à disposition des médecins scolaires pour remplir leurs missions d’épidémiologie.
Nous avons ainsi appelé à ne pas renseigner les statistiques annuelles concernant la santé des élèves, comme demandé par l’administration centrale, c’est à dire à posteriori et en fin d’année scolaire. Les chiffres recueillis sont en effet utilisés par le ministère comme valeurs probantes – ce que nous refusons de cautionner dans les conditions actuelles de recueil.
Quelques réalités sont à souligner
Ainsi le SNAMSPEN/Sgen-CFDT est surpris de l’attente placée en l’Éducation nationale pour le recueil de données chiffrées concernant la santé de l’élève. Les freins ne sont qu’à peine abordés… et quelques réalités sont à souligner.
Il n’y a pas systématiquement d’utilisation commune du dossier médical scolaire version papier entre médecins et infirmier·es, alors que l’activité conjointe de ces professionnels est évoquée.
Le corporatisme sévit à l’éducation nationale. Suivant les pratiques, les infirmier·es écrivent ou non dans ces dossiers médicaux les résultats des bilans infirmiers faits à 6 ans (de moins en moins depuis 2015), en CE2 ou CM2 (qui ne font de toute façon plus partie des bilans infirmiers systématiques), ou ceux de 6ème… Dans certains cas, il n’y a aucune communication des résultats des bilans infirmiers aux médecins de secteur.
C’est ainsi que des informations importantes peuvent être inscrites dans ces dossiers médicaux sans que le médecin, responsable juridiquement du dossier, n’en soit effectivement informé, ce qui n’est pas acceptable.
En ce qui concerne la référence faite au bilan médical systématique des 3èmes : il a disparu de longue date, nous avons un avis d’orientation à rendre concernant les élèves qui sont dirigés en lycées professionnels et technologiques qui ont un problème de santé ou un handicap. C’est une très faible minorité des élèves, variant suivant les territoires. Nous ne sommes plus en capacité de faire ce bilan pour tous les élèves qui en auraient besoin en raison de la réduction des effectifs médicaux.
À propos des outils informatiques
Les auteurs de l’avis semblent vanter le logiciel ESCULAPE, alors qu’il peut nous apparaitre actuellement comme un outil problématique, tant dans l’ergonomie que dans le respect des droits des usagers.
Pour ce qui est du dossier médical informatique : les infirmier·es n’ont pas accès au dossier médical sur Esculape, et le logiciel infirmier Sagesse ne fait pas l’unanimité pour les infirmier·es formé·es à la santé publique. Depuis de très nombreuses années les infirmier·es n’ont eu cesse de dénoncer l’obsolescence de cet outil en réclamant une nouvelle version afin qu’elle corresponde enfin au travail effectué par les infirmier·es et permette la remontée des statistiques, de leur activité et des données épidémiologiques et de santé des élèves.
À ce jour le dossier papier est de plus en plus abandonné dans les départements : les informations sont divisées en données médicales sur Esculape (à minima) et données infirmières sur Sagesse…les personnels n’ayant accès qu’à leurs données respectives.
Par ailleurs, avec Esculape, le secret médical et le droit des familles sont mis à mal. Des données médicales, bien au delà de la biométrie, confiées à un médecin scolaire peuvent d’emblée être accessibles à plusieurs autres médecins, inconnus des familles et sans leur accord (cf : fiche esculape signée par les familles). Ces familles n’auraient peut-être pas accepté de livrer comptes rendus et informations relevant du secret médical si elles étaient correctement informées.
Quant à utiliser Esculape pour le recueil des données à visée épidémiologique, nous n’avons finalement toujours ni méthodologie, ni pratiques propres à recueillir des données chiffrées exploitables. De nombreux biais existent : les pratiques médicales ne sont pas standardisées, le recueil des données s’effectue de façon diverse d’un département à l’autre, voire d’un médecin à l’autre. L’accès au logiciel informatique est aléatoire avec des zones blanches dans certains secteurs. Il y a des résistances aussi à l’utilisation de cet outil. Le respect des droits de l’usager pose question.
Actuellement, la charge de travail qui permettrait le remplissage de toutes les données mentionnées sur Esculape, à postériori parfois donc de la consultation, correspond à un temps que nous n’avons pas. De nombreux médecins n’inscrivent que le minimum dans ce dossier faute d’ergonomie (de très nombreuses pages sont à consulter et remplir), ou de la conscience d’un secret médical impacté. Par ailleurs, sans notification explicite de remplissage et de codage des réponses, il est illusoire de penser que ces données soient exploitables de façon fiable comme des indicateurs probants de santé.
Le logiciel nécessaire pour répondre aux obligations de l’exercice médical n’est à ce jour pas superposable à un logiciel permettant l’extraction de données statistiques… C’est un problème technique à résoudre… pour les infirmier·es comme pour les médecins. Esculape qui a fait ses premiers pas en 2013 est un logiciel perfectible qui actuellement ne répond toujours pas à l’exigence de la déontologie médicale et dont l’usage pour l’exploitation des données n’est pas accompagné.
Des enquêtes rigoureuses et donc exploitables ?
Les seules enquêtes construites de façon rigoureuse et donc exploitables restent celles de la DREES, mais une bonne partie de celles-ci en milieu scolaire pourrait être renseignée par des personnels para-médicaux. Là encore, sans plus de professionnels de santé scolaire, animés par une collaboration efficiente – notamment pour les bilans de la 6ème année – la réalisation effective des enquêtes dans le milieu scolaire suivant les échantillonnages prévus ne peut se faire, impactant la qualité de l’enquête.
En dehors de ces enquêtes DREES, on a pu constater, concernant les bilans de 5-6 ans, la difficulté d’obtenir des données chiffrées justes, et pourtant le bilan de 6 ans est considéré comme une priorité – a minima – par le Ministère de l’Éducation nationale, …
Les médecins scolaires, rares, plutôt que de renseigner des enquêtes qui n’ont pas toujours besoin de leur expertise, devraient plus valablement s’inscrire dans les travaux de suivis de cohorte pour des pathologies, des symptômes, ou facteurs de risques repérés et nécessitant une expertise clinique pour répondre aux questions qui se posent.
Nous sommes en effet motivés, en tant que médecins de santé publique, pour contribuer à l’activité épidémiologique et surtout de recherche, avec un recueil de données organisé suivant les expertises et les compétences d’une équipe de professionnels coordonnée en faveur de la santé des enfants.
Pour un logiciel unique
Pour cela, un logiciel unique adapté aux différents exercices professionnels doit permettre le partage de données suivant les fonctions, et associer des secrétaires pour renseigner les données civiles et conditions matérielles de vie, des infirmier·es pour recueillir les données biométriques, sensorielles, l’examen dentaire, les habitudes de vies, l’intégration au milieu scolaire, des médecins pour recueillir les données d’un examen clinique, relever les symptômes générés par le milieu familial, scolaire, social, et renseigner les indicateurs discriminants et choisis par les sociétés savantes pour évaluer l’état de santé et de bien être des enfants…
Il est certain que ce ne sont actuellement pas la méthodologie et les moyens donnés par l’Éducation nationale qui permettront, en l’état, d’assurer des données propres à évaluer l’état de santé des enfants et des adolescents. Il manque la rigueur scientifique, les outils, les moyens humains, les pilotes et coordinateurs, et une vraie volonté politique émanant du Ministère de l’Éducation nationale pour mettre en place l’ensemble de tout ceci.
Devenir acteurs d’un observatoire de la santé de l’enfant et de l’adolescent
Nous constatons donc une grande différence entre ce qui est rapporté par notre administration et les réalités du terrain et déplorons l’absence de parole donnée, une fois de plus, aux représentants des personnels médecins scolaires.
Nous pourrions aussi remarquer que la parole n’est pas donnée à nos collègues infirmier·es, qui sont aussi concerné·es par le recueil de données et doté·es d’une expertise infirmière propre.
Les auteurs appellent « un plan d’urgence » en faveur de la santé scolaire pour assurer les missions d’épidémiologie. Pour le SNAMSPEN/Sgen-CFDT le plan d’urgence doit s’appuyer bien au-delà du seul Ministère de l’Éducation nationale. Seule une tutelle interministérielle pilotée par la Santé pourrait assurer ce plan d’urgence.
Car malheureusement l’Éducation nationale n’est pas prête à nous laisser nous consacrer à ces missions d’importance, ni à les valoriser, ni à nous donner les moyens de les réaliser dans le respect de la déontologie médicale.
Nous ne voulons pas non plus être transformés en super techniciens spécialisés dans la saisie de données de santé que tout un chacun est en mesure de collecter.
En revanche, être acteurs de travaux de recherche (avec du temps pour cela), du suivi de cohorte, nous semble plus adapté au niveau de formation de médecin de santé publique et de médecine sociale, ceci en lien avec les services hospitaliers, et les médecins libéraux.
Si un observatoire de la santé de l’enfant et de l’adolescent se mettait en place, nous devrions en être des acteurs, sous la tutelle du Ministère de la Santé, avec des missions cliniques individuelles et collectives en faveur de la santé, du bien être et de la réussite de chaque enfant, au sein de l’école révélatrice et génératrice de pathologies, laboratoire d’observation captant plus de 12 millions d’élèves placés dans des conditions d’observations identiques…